Il y a quelques années, je suis allé magasiner chez Rona, accoutré d’un chandail BLEU. Une erreur périlleuse.
Ce jour-là, dans la rangée 52, j’ai vu une dame battre le record en saut de palettes de terre à jardin pour me rattraper, en agitant frénétiquement les bras pour attirer mon regard. Elle croyait avoir trouvé un commis ; je croyais être en danger. Personne ne vivait une bonne expérience.
Le besoin des consommateurs de se faire conseiller in situ, additionné aux difficultés de main d’œuvre dans le commerce au détail, créent un déséquilibre dans l’expérience de magasinage. Si aujourd’hui la pénurie de conseillers s’accentue, on voit par contre que les consommateurs sont mieux outillés pour vivre leur expérience de magasinage, pour autant qu’ils embrassent la technologie.
Les grandes tendances émergentes en commerce ont un air de famille : le commerce social, le « live stream shopping », le service à la clientèle conversationnel et le « retail media ». J’ai beaucoup de difficulté à ne parler que d’une seule de ces tendances, parce qu’elles sont issues d’évolutions technologiques reliées, qui façonnent le comportement des consommateurs depuis plusieurs années déjà. On parle de niveau d’attention d’un médium vidéo, de l’influence des pairs, de l’ascension de l’usage du mobile pour des transactions, de l’importance d’un contact direct et prolongé avec une marque et d’un accès rapide à une expertise ou des conseils. Pour simplifier davantage : le commerce se passe en direct et chaque conversation ou moment de visionnement a le potentiel de devenir une vente. Commerce everywhere.
Cette année, on estime que 21% des Canadiens auront acheté un produit via le commerce social. Les plateformes sociales offrent un canal de communication additionnel pour le service à la clientèle des marques, en dehors de leurs plateformes principales. Un « chat bot » sur Facebook Messenger peut prendre en charge une partie du volume traditionnellement soutenu par l’équipe de service à la clientèle. Cette division des tâches permet à un robot de répondre aux questions et besoins les plus fréquemment sollicités, pour qu’un conseiller puisse intervenir là où le contact humain a le meilleur impact sur l’expérience consommateur. La compagnie montréalaise Heyday (récemment acquise par Hootsuite), illustre sur son site web le cas de Decathlon, pour qui 29% des conversations de ventes sont survenues en dehors des heures d’ouverture. Des ventes incrémentales non négligeables.
La fusion de tous ces éléments (social + commerce mobile), poussés à l’extrême, donne un canal télé-achat en continu et diffusé en direct, avec interactions et achat en une touche d’écran. C’est déjà une réalité en Chine, où 39% de toutes les ventes au détail sont mobiles (vs. moins de 5% au Canada), et Amazon Live tente présentement d’adapter le concept aux États-Unis. Walmart a tenté l’expérience sur TikTok, et a choisi plutôt de bâtir son propre canal de « live stream shopping ». Le contrôle du lieu de vente (et des données) est un avantage stratégique que peuvent se permettre les grands joueurs du commerce de détail.
La connexion avec les systèmes de gestion des inventaires et de traitement des transactions rend possible l’automatisation du commerce social. Les produits vendus sur Amazon bénéficient déjà d’une infrastructure établie, mais n’empêche que la question des centres de distribution et la transformation numérique demeurent une priorité. La pandémie aura fait croître l’urgence d’investir en infrastructures, alors que le e-commerce a bondi de 75% en 2020 au Canada.
Selon un récent sondage mené sur un groupe de commerçants américains, l’automatisation du marketing, la personnalisation et les logiciels de gestion d’inventaire sont les trois plus grands pôles technologiques qui verront une croissance d’investissement. Plus près de nous, des entreprises comme IGA a investi dans un centre de distribution afin d’accélérer et d’améliorer le traitement des commandes en ligne. L’achat de Ricardo Media par le groupe Sobeys s’inscrit également dans la tendance du « retail media », où le gain en données et l’accès à des audiences qualifiées, jumelé au pouvoir d’automatisation du commerce, deviennent des incontournables. Un influenceur plus charismatique que mon épicier, une production vidéo établie, la capacité de commande en direct…les ingrédients sont réunis.
Avec la flambée du commerce social que se disputent Facebook/Instagram, Google, Amazon, TikTok, SnapChat, Twitter, Pinterest et les prochains, on assiste au déplacement du centre de gravité dans le monde du commerce. Désormais, le média est le magasin, le conseiller et la caisse enregistreuse.
Sources :
https://content-na1.emarketer.com/mcommerce-forecast-2021
https://www.lapresse.ca/affaires/2019-05-09/des-robots-pour-faire-votre-epicerie
Image : Nathan Dumlao